top of page
  • Evelyne

Carbone intrinsèque & Maison Passive

Est-ce que les émissions de carbone liées à la fabrication de l'isolation supplémentaire d'un bâtiment passif éliminent les avantages climatiques de son efficacité énergétique? Jetons-y un coup d'œil...



La réponse à cette question varie d'un projet à l'autre, en fonction du choix des matériaux et du climat. Cela dit, j'habite dans une Maison Passive Certifiée pour climat froid, alors je vais utiliser ma propre maison comme étude de cas pour explorer cette question.


Il s'agit fondamentalement du rapport entre le carbone intrinsèque et le carbone opérationnel, alors commençons avec quelques définitions :


Le carbone intrinsèque fait référence aux émissions liées aux matériaux utilisés dans la construction de bâtiments. Cela comprend l'extraction des matières premières, les processus de fabrication, le transport et l'installation des matériaux sur le site.


Le carbone opérationnel fait référence aux émissions de GES provenant de l'énergie consommée lorsque le bâtiment est occupé. L'efficacité énergétique d'un bâtiment et la source de d'énergie de ses systèmes de chauffage et d'eau chaude (combustible vs électricité) auront une grande influence sur le carbone opérationnel.



Récemment, de nombreux débats ont eu lieu sur lequel est le plus important, le carbone intrinsèque ou le carbone opérationnel. Les deux ont un impact considérable :

  • Les émissions de carbone intrinsèque se produisent maintenant et dans un futur proche, à un moment où il est essentiel de réduire rapidement et radicalement les émissions de GES pour éviter que le réchauffement de la planète ne dépasse 1,5°C.

  • Le carbone opérationnel sera émis au cours des décennies d'utilisation du bâtiment : les décisions que nous prenons aujourd'hui en matière d'efficacité énergétique et de sources de carburant entraîneront l'émission d'une certaine quantité de carbone, année après année.


 

Analyse du carbone intrinsèque


Revenons à notre question initiale : le carbone intrinsèque de l'isolation supplémentaire d'une Maison Passive dépasse-t-il les réductions de carbone opérationnel liées à une enveloppe de bâtiment plus efficace ?


Pour répondre à cette question, j'ai utilisé l'estimateur BEAM de Builders for Climate Action pour évaluer le carbone intrinsèque de ma maison telle qu'elle a été conçue, puis j'ai modélisé le même bâtiment, mais avec des compositions d'enveloppe qui atteignent tout juste la performance minimale requise par le Code de construction du Québec (CCQ). Voici les compositions de la version réelle et de la version "minimum du CCQ", ainsi que leurs valeurs U et R effectives :



Les deux versions utilisent des matériaux de construction standard et les mêmes types d'isolation. Voici comment ils se comparent en termes de carbone intrinsèque :


La version Maison Passive présente une réduction de 14 % du carbone intrinsèque par rapport à la version "minimum du CCQ".


Vous êtes surpris ? La magie réside ici dans l'utilisation de la cellulose comme isolant. Puisque la cellulose est fabriquée à partir de papier recyclé, nous détournons le carbone de ce matériau du cycle de déchets, ce qui revient à stocker du carbone dans l'enveloppe du bâtiment.


Actuellement, l'utilisation du bois comme matériau de stockage du carbone suscite beaucoup d'intérêt dans le secteur de la construction. Toutefois, la méthodologie de BEAM n'attribue pas de stockage de carbone aux produits en bois vierge (2x4, contreplaqué, etc.) en raison de :


"...l'incertitude concernant la quantité de carbone libérée des sols pendant les opérations d'exploitation forestière, la quantité de carbone retournant dans l'atmosphère par les racines, les débris de foresterie et les déchets de scierie, la quantité de capacité de stockage du carbone perdue lorsqu'un arbre en croissance est récolté et le délai nécessaire pour que les arbres nouvellement plantés commencent à absorber des quantités significatives de dioxyde de carbone atmosphérique".


Je suis tout à fait d'accord avec leur approche, et vous pouvez en apprendre plus à ce sujet ici, dans la section intitulée "BEAM counts carbon stored in bio-based materials" (en anglais seulement). La méthodologie de BEAM estime que le bois vierge est une source nette d'émissions de carbone.


Même si les murs à double ossature utilisent plus de bois que les murs à ossature simple, les émissions négatives attribuées au stockage de carbone de la cellulose compensent largement les émissions dues au bois supplémentaire.


Images: Cellulose installée derrière un filet de rétention dans la Maison du pré (Tandem Architecture Écologique).


Les matériaux sont importants.


Ces résultats sont excellents, mais il faut se rappeler que le choix des matériaux a un impact énorme sur le carbone intrinsèque. Quand j'ai créé une version du modèle BEAM de la maison passive qui utilisait une isolation en fibre de verre au lieu de la cellulose, le carbone intrinsèque est passé de 18 225 kg CO2e à 29 789 kg CO2e, soit une augmentation de 63 % !



 

Analyse de carbone opérationnel


Pour comparer la consommation d'énergie du projet tel que conçu par rapport à la version "minimum du CCQ", j'ai fait une copie du modèle énergétique Passive House Planning Package (PHPP) du projet en y apportant les modifications suivantes :

  • Les compositions types ont été modifiées tel qu'indiqué ci-dessus ;

  • Les fenêtres haute performance à triple vitrage avec des cadres en bois-aluminium ont été remplacées par un double vitrage plus ordinaire dans des cadres de fenêtres en bois ;

  • Les autres systèmes sont restés inchangés (ventilateur à récupération d'énergie, eau chaude, appareils électroménagers...) ;

  • L'étanchéité à l'air n'a pas été modifiée (je me sentais charitable).

Voici comment les deux versions du bâtiment se comparent :





Maintenant, convertissons cette consommation annuelle d'énergie en carbone opérationnel annuel, en utilisant l'intensité moyenne des émissions de GES pour la production d'électricité au Canada (le bâtiment est 100% électrique, ce qui rend ces calculs plus faciles !)


 

Émissions totales de carbone


Maintenant que nous avons calculé les émissions de carbone intrinsèque et les émissions de carbone opérationnelles annuelles, nous pouvons calculer les émissions totales de carbone pour nos scénarios. Les émissions intrinsèques se produisent principalement juste avant ou pendant le chantier, puis nous ajoutons le carbone opérationnel annuel à chaque année :



Ce graphique montre clairement que, dans ces scénarios, les économies d'émissions opérationnelles des options Maison Passive compensent largement toute augmentation du carbone intrinsèque à long terme. Cependant, il est important de se rappeler que la prochaine décennie est cruciale pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C, tout comme le cycle de vie entier du bâtiment contribue à la stabilité climatique à long terme.



Qu'advient-il de ces projections si l'on considère que les réseaux électriques du monde entier visent à se décarboner au cours des prochaines décennies ?


Les calculs simplifiés ci-dessus supposent que les émissions de gaz à effet de serre (GES) par kWh d'énergie provenant du réseau électrique resteront constantes pendant 50 ans, ce qui est peu probable étant donné que les compagnies d'électricité abandonnent progressivement les combustibles fossiles en faveur des énergies renouvelables. Au Québec, nous vivons déjà dans une version de cet avenir décarboné : 99,77 % de notre électricité est produite à partir de sources renouvelables, principalement l'hydroélectricité. J'ai utilisé la moyenne canadienne des émissions de GES pour les calculs ci-dessus afin de les rendre plus largement applicables, mais les émissions de GES du réseau d'Hydro-Québec sont un minuscule 0,0006 kg de CO2e par kWh.


Quel est l'effet d'un réseau électrique presque décarboné sur notre graphique ? La pente des lignes devient beaucoup plus plate. Étant donné que ma maison passive avait un taux de carbone intrinsèque inférieur à celui de la version "minimum du CCQ", elle en sort quand même gagnante. En revanche, la version de la maison passive qui utilisait une isolation à plus forte teneur en carbone intrinsèque présente les émissions totales de carbone les plus élevées de ces trois scénarios, même après 50 ans.



Étant donné que je vis dans un endroit où le réseau électrique est presque entièrement décarboné, vous vous demandez peut-être pourquoi je passe autant de temps à essayer de minimiser la consommation énergétique des bâtiments que je conçois.


Il est vrai que le carbone opérationnel d'un bâtiment entièrement électrique au Québec est relativement faible, même si le bâtiment n'est pas particulièrement efficace, grâce à notre réseau électrique décarboné. C'est là que le contexte est important : libérer une partie de la capacité du réseau électrique en rendant les bâtiments plus efficaces permet à d'autres secteurs, tels que les transports ou l'industrie, de passer des combustibles fossiles à l'électricité. Dans les pays qui s'efforcent encore de décarboner leur réseau électrique, les bâtiments éco-énergétiques peuvent simplifier le défi de passer aux énergies renouvelables en réduisant les charges de pointe et la demande totale en électricité. Même ici au Québec, on parle de construire de nouveaux barrages hydroélectriques ou de réactiver une ancienne centrale nucléaire pour répondre à la demande croissante. Cela place le surcoût des bâtiments plus éco-énergétiques dans un tout autre contexte.


 

Conclusion


Le carbone intrinsèque est une considération importante lors de la conception de bâtiments. C'est possible de concevoir un bâtiment dont l'efficacité énergétique est exemplaire avec un taux de carbone intrinsèque inférieur à celui d'un bâtiment conçu selon les exigences minimales du code, mais il faut faire attention aux choix de matériaux.


Même quand la production d'électricité est 100 % renouvelable, l'efficacité énergétique est importante afin d'éviter de surdimensionner les infrastructures coûteuses. L'efficacité énergétique obtenue grâce à l'approche de la Maison Passive offre également de nombreux autres avantages, tels que la résilience thermique, la qualité de l'air intérieur et le confort tout au long de l'année.


Les droits d'auteur pour toutes les images et le texte de cet article sont la propriété de Tandem Architecture Écologique.


 

Sources d'information & ressources additionnelles :

Maison Passive Canada - pour des formation sur la conception de bâtiments selon la norme internationale Passive House et sur l'utilisation de l'outil de modélisation énergétique PHPP. MPC développe actuellement un cours sur l'utilisation de PHribbon, un outil de calcul de carbone intrinsèque pour PHPP.

Bâtiment passif Québec - un regroupement de professionnels du bâtiment soucieux d’améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments par la promotion et l’application au Québec de la norme internationale Passivhaus.






245 vues0 commentaire
bottom of page